"Le mur énergétique du capital" de Sandrine Aumercier - Introduction -




LE MUR ÉNERGÉTIQUE DU CAPITAL

Contribution au problème des critères de dépassement du capitalisme du point de vue de la critique des technologies.


INTRODUCTION 

Le vieil optimisme de la pensée marxiste comptant sur le développement des forces productives pour libérer la société du travail ne connaît quasiment pas d'exception (1). La technologie y est décrite comme un facteur d'aliénation dans les conditions présentes, mais la transformation à venir la ferait passer du signe "moins" au signe "plus", ferait pour ainsi dire exploser ses possibilités émancipatrices, voire le développement technologique, libérant progressivement la force de travail, suivrait un déterminisme qui le conduirait automatiquement vers un dépassement dialectique du capitalisme. Cette ambivalence caractéristique de la pensée marxiste jusqu'à aujourd'hui soulève ainsi,  avec le statut de la technologie, un élément décisif de la critique du capitalisme, et qui explique en partie la répulsion mutuelle qu'ont longtemps entretenue les marxistes et les écologistes (2). Elle imprègne encore les luttes sociales, bien que quelques ponts commencent à se faire devant l'évidence du fait que les crises sociales et les crises écologiques ne sont pas respectivement des "préoccupations de pauvres" et des "préoccupations de riches" mais les manifestations multiples d'une seule et même crise fondamentale qui, en bout de course, finit par rattraper  toutes les classes sociales. Le phénomène de crise globale commence à présent à s'imposer dans le public au titre des discours à la mode sur l'effondrement, débouchant sur un affairement tous azimuts adressé aux décideurs politiques, à partir de luttes dispersées et d'options théoriques fragmentaires.


Quant à ceux ont consacré toutes leurs recherches à décrire l'aliénation croissante et l'autonomie du système technicien, tels Jacques Ellul ou Bernard Charbonneau en France, c'est en se distanciant de la critique marxiste, jugée inapte à cette tâche en raison du préjugé productiviste qui continue incontestablement de l'habiter. De même, les objections fondamentales à une "neutralité de la technique" apportées par des auteurs comme Lewis Mumford, Günther Anders ou Ivan Ilitch n'ont pas reçu de réponse satisfaisante du côté marxiste. Chacun de ces auteurs s'est attaché à la recherche d'un critère qui permettrait de départager de manière pertinente une bonne et une mauvaise technologie. Marx décrivait pour sa part une mutation qualitative introduite par le machinisme industriel, qui ne permet plus de parler de la "technique en générale" comme disposition humaine transhistorique.

L'aggravation de la crise écologique pose à présent de façon plus brûlante que jamais la question du salut par la technologie, entre les tenants de la géo- et bioingénierie et la poursuite indéfinie de la rationalisation technologique d'un côté, et, de l'autre, les tenants du biocentrisme, du primitivisme ou de la deep ecology, en passant par les mouvements low-tech ou décroissants, quelque part entre les deux. Progressivement, c'est moins l'enjeu de sauver une nature largement amochée que le statut d'une technologie habitée par la folie des grandeurs qui devient le centre des débats écologiques. Cette controverse forme aussi le cœur de la polémique qui opposa les auteurs du Manifeste contre le travail à leurs détracteurs des Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances (3). C'est précisément le thème de la réappropriation des forces productives que Jaime Semprun relève dans le manifeste du groupe Krisis, au détour de telle ou telle page, et auquel il s'oppose, mais sans se confronter aux catégories de la critique marxienne (4). On se trouve en face de deux critiques, l'une du travail, l'autre anti -industrielle, qui sont plus ou moins imperméables l'une à l'autre et qui polémiquent de manière défensive sur le degré de radicalité de leurs points de vue respectifs, chacune ayant pour ainsi dire pris en charge le point aveugle de l'autre. C'est toutefois à Anselme Jappe que revient selon Semprun lui-même le mot de la fin dans ce débat : « Une critique du capitalisme sans critique de la société industrielle est aussi insensée qu'une critique de la société industrielle sans critique du capitalisme.» (5)

La place que prend aussi la technologie dans les polémiques post-situationnistes, oú fusent les accusations les plus outrancières - mais comportant aussi par là leurs moments respectifs de vérité (6) - impose de reprendre cette question de manière conjointe avec celle du travail : elle partage avec lui une commune racine historique. Peut-être parviendra-t-on alors à éviter la querelle des usages qui moralise et subjectivise certains artefacts technologiques et rend impossible de penser les conditions matérielles même du déploiement technologique. Les auteurs de la critique de la valeur sont eux-mêmes diversement positionnés sur ce point. Il en ressort que le flou sur la question de la technologie ne devrait pas être entretenu plus longtemps si l'on prend au sérieux, non pas la préservation abstraite de la nature, mais justement l'exigence "révolutionnaire" posée par l'abolition du travail:

Si l'on entend par "révolution" une véritable rupture avec le travail comme expression fétichisée et autonomisée de la vie sociale, alors il faut conclure qu'aucune révolution n'a eu lieu pendant l'histoire du capitalisme. Une telle sortie de la civilisation capitaliste n'a même jamais été envisagée sérieusement. La critique de l'appareil technologique qui est le support indispensable du travail abstrait fut également très largement esquivée dans l'histoire des mouvements de contestation. (7)

Avec son livre Klimakiller Kapital (2020), Thomas Konicz apporte récemment une contribution sur la crise écologique dans le champ de la critique de la valeur. Constatant une désinhibition de la course à la croissance plutôt qu'une prise en considération de la dégradation pourtant patente des conditions de vie sur terre, l'auteur déploie un grand nombre d'exemples d'obstruction politique et de déni du réchauffement climatique, essentiellement orchestrés par la droite dure. (8). Le néofascisme des élites de fonction - tels les Trump, Bolsonaro ou Duterte - est l'une des formes les plus patentes de la gestion de crise dans laquelle s'enfonce le capitalisme tardif sous le poids de ses propres contradictions. Le courant de la critique de la valeur sur lequel Konicz appuie explicitement ses analyses en lui dédiant une partie du livre, met en évidence la diminution continue de la masse totale de travail vivant consécutive à l'automatisation du travail - c'est-à-dire aussi de la création de valeur - menaçant la "société du travail" de s'écrouler sur elle-même au fur et à mesure qu'elle approche de cette borne interne absolue. Ceci laisse de plus en plus de populations surnuméraires végéter à la périphérie du capitalisme mondial, tandis que le capital fictif poursuit sa fuite en avant dans l'espoir de contrecarrer la contraction inexorable de sa propre substance. Les crises récurrentes du capitalisme apparaissent ainsi comme les poussées historiques d'une seule et même crise structurelle parvenue à maturité. La sphère politique ne dispose pas des moyens qu'on lui prête pour réintroduire la "régulation" et les mécanismes de redistribution dans cette dynamique systémique, puisqu'elle dépend elle-même d'une ponction fiscale dans une masse de valeur évanescente. Il s'agit d'une dynamique qui s'est autonomisée, et que les différents "porteurs de fonction" ne font que servir à leur insu qu'ils soit travailleurs ou capitalistes. la présentation de Konicz permet ainsi de se confronter aux thèses principales de la critique de la valeur et de les mettre en relation avec l'analyse spécifique de la crise climatique.

Mais elle contient aussi des imprécisions préjudiciables à l'exposition théorique. Thomas Konicz substitue systématiquement le terme de "travail salarié" à celui de travail abstrait, évacuant ainsi le tranchant de la critique du travail portée par le courant de la critique de la valeur. "Le travail salarié forme la substance du capital", écrit-il par exemple à plusieurs reprises (9). Le lecteur est ainsi amené à penser que des formes de travail non salariées ne seraient peut-être pas soumises à la même dynamique de dévalorisation générale. Robert Kurz définit ainsi le travail abstrait: "Le travail salarié de l'employé rentre dans cette notion de travail (abstrait), sans toutefois l'épuiser. Celle-ci comprend aussi l'activité des capitalistes et du management, c'est-à-dire qu'elle s'étend à la totalité des classes et des groupes de la hiérarchie des fonctions capitalistes (10). Ailleurs, Robert Kurz en donne une définition encore plus fulgurante : " De nos jours, la plupart des gens semblent paralysés par cette expression dont le sens est pourtant simple. Le "travail abstrait" désigne  toute activité conduite pour l'argent, ou le gain d'argent est le facteur décisif et où, par conséquent, la nature des tâches à effectuer devient relativement indifférente (11) ." Les seules activités qui pourraient échapper au travail abstrait sont celles qui sont effectuées sans contrepartie monétaire, comme certaines activités domestiques, ou celles effectuées par goût personnel durant le "temps libre". Toutefois, celles-ci constituent elles-mêmes les moments dissociés de la reproduction d'ensemble du capital. De ce point de vue, rien ne parvient véritablement à échapper au travail abstrait en régime capitaliste. Les développements de Konicz sur la valeur d'usage "contaminée (12)" par le capital et qui devrait " perdre son caractère de marchandise (13) " pendant que les faux besoins doivent être " libérés de leurs scories irrationnelles (14) "  sont également problématiques. Kurz a critiqué de telles confusions en montrant que la valeur d'usage est elle-même une fonction de la valeur et qu'il ne saurait être question de retrouver une valeur d'usage originelle dès lors qu'on parle sérieusement d'abolition du capitalisme. Les marchandises (les valeurs d'usage)

ne sont que des déchets à l'intérieur du procès de valorisation du capital. Sur le plan du contenu matériel, seul l'aspect "fonctionnel" demeure. La mine antipersonnel doit se déclencher de manière fiable, c'est son "utilité". Le capitalisme ne se préoccupe pas du "quoi", de la qualité du contenu en tant que tel, mais seulement du "comment". Une telle conception unidimensionnelle de l'"utilité" ne peut que devenir destructrice. Il ne s'agit pas ici de sophismes théoriques, mais de notre vie pratique quotidienne. Une nouvelle critique, plus profonde, du capitalisme, ne peut plus être naïve en ce qui concerne le concept de valeur d'usage (15) .

 Les "besoins" apparus sous le capitalisme sont préformés par lui, et ne peuvent être libérés du capitalisme sous la forme d'une retrouvaille avec une supposée authenticité -  une fois débarrassés par exemple de la mode et de la publicité. Ils ne peuvent pas non plus être déconstruits sur la base d'une moralisation, si l'on n'appréhende pas le capital comme une griffe extérieure posée sur le sujet. Dans une certaine mesure - qui n'est jamais entièrement achevée, nous sommes nous-mêmes le capital. L'émancipation doit être pensée à partir d'une critique d'un sujet qui n'est pas extérieur au capital.

Les imprécisions de Konicz pourraient relever du genre de la vulgarisation. Mais elles conduisent l'ensemble de l'argumentation vers un positivisme techno- progressiste qui se révèle au détour de quelques pages et surtout dans la conclusion. L'auteur insiste essentiellement sur les stratégies de l'extrême droite et notamment des lobbies pétroliers et automobiles pour empêcher depuis des années toute avancée sur le terrain des énergies renouvelables. Il est vrai que des recherches non publiées réalisées par Shell ou par Exxon avaient de longue date établi la gravité du réchauffement climatique. Des millions de dollars continuent d'être alloués par l'industrie pétrolière à la propagation du doute scientifique et au blocage des réglementations écologiques. Mais Konicz épargne bizarrement le capitalisme vert de la critique. De plus, malgré le négationnisme climatique des droites dures, il ne faudrait pas sous-estimer la résurgence d'une écologie d'extrême droite misant sur un "localisme" identitaire, ethno-différentialiste, économiquement protectionniste, voire  décroissantiste (17) . On y trouve selon différentes déclinaisons une célébration réactionnaire des terroirs assortie d'une rhétorique survivaliste et malthusienne. Elle est incarnée en France par la Nouvelle Droite, ainsi que par les mouvements européens d'extrême droite comme l'AFD en Allemagne, qui défendent à leur façon la "conservation de la nature" (18) . Les terroristes de El Paso et de Christchurch se revendiquaient eux-même comme éco- fascistes. Face à la multiplication des catastrophes environnementales qu'il deviendra de plus en plus difficile de simplement ignorer, cette tendance pourrait se confirmer. Elle sait faire jouer certaines problématiques écologiques contre d'autres : le déni climatique peu  voisiner avec la défense "écologique" d'un territoire, le protectionnisme industriel qui converge avec la "relocalisation des activités" chère à la gauche - avec la chasse aux migrants. On ne saurait donc s'en prendre exclusivement aux figures représentatives du climato- négationnisme, sans prendre en compte d'autres tendances souterraines. La droite libérale est aussi dans le viseur de Konicz : Angela Merkel n'était pas des moindres en matière de collusion avec le lobby automobile lorsqu'il s'agissait de bloquer au niveau européen les propositions de réglementation des émissions polluantes des voitures ou de présenter en 2019 "un plan climat" technocratique et politiquement prudent malgré toute la publicité qui lui a été faite. Seulement à force d'accuser les obstructions des populistes de droite et des conservateurs Konicz ne peut que déplorer des retards pris dans une transition écologique qu'il appelle de ses vœux d'une manière étonnamment acritique. Symptomatique de ce point de vue est le minuscule chapitre sur le "green New Deal" inséré dans un torrent de critiques à l'encontre des climato-sceptiques qui constitue, lui, l'essentiel du livre. Le "Green New Deal", même corrompu par la logique capitaliste, mérite selon l'auteur, au moins un soutien stratégique :

Compte tenu de la progression rapide du changement climatique, il semble néanmoins judicieux de soutenir tactiquement des projets de réforme tels que le "Green New Deal", dans la mesure où ils visent en fait a créer les infrastructures de base d'une reproduction écologiquement durable de la société -  même si le calcul économique qui les sous-tend ne peut réussir. Il n'y a plus de temps à perdre. Après tout, cela créerait les bases d'une infrastructure écologiquement durable dont pourrait hériter le post-capitalisme au cours d'une transformation du système (19) .

 En effet, selon Konicz :

L'énorme potentiel de productivité, qui accélère la destruction de l'environnement dans le cadre du mode de production capitaliste, pourrait contribuer à l'établissement d'un système économique durable au-delà du rapport-capital [...] La lutte contre la crise climatique consiste également à libérer les forces productives des entraves des rapports de production capitalistes (20) .

Selon cette vue, l'industrie pétrolière empêche les réformistes de gauche d'introduire des innovations, certes politiquement peu radicales -  car impraticables en contexte capitaliste, selon Konicz - , mais salutaire dans une stratégie de sortie du capitalisme assurant ses arrières en matière de technologie de pointe. Il s'agit de soutenir l'innovation verte dans l'idée de la récupérer au profit d'un monde post-capitaliste à venir. L'auteur ne sort pas d'un  marxisme classique comptant sur le développement des forces productives - et donc sur le capitalisme - comme l'une des phases nécessaires de l'émancipation historique, laquelle se trouve de la sorte indéfiniment repoussée vers une convulsion finale qui, en fait, n'arrive pas -  puisqu'ainsi on reste toujours occupé à préparer le "moment suivant" à l'intérieur des formes existantes et sans rompre avec leurs catégories fondamentales. L'idée de faire alliance avec la "bourgeoisie" pour accélérer "le développement des forces productives", lui-même accoucheur de la révolution, a une longue histoire. Mais, privée de sujet révolutionnaire, la critique d'aujourd'hui en est apparemment réduite à sauver les meubles en célébrant les futures "technologies de rattrapage" qui seront peut-être utile dans un monde dévasté, en l'occurrence les technologies "vertes" qu'il serait judicieux de laisser mûrir au sein de la bête capitaliste, pour les récupérer ensuite.

Une telle vision méconnaît le rapport du problème énergétique avec la société du travail. Si le capitalisme s'achemine vers une borne interne absolue constituée par la diminution de la masse sociale de valeur (Robert kurz), cette "contradiction en procès" se traduit par des effets aussi bien sociaux qu'environnementaux  qui ont à voir non pas seulement avec la valeur au sens d'une illusion à balayer, mais surtout avec sa substance, c'est-à-dire le travail. L'examen de la question énergétique permet de formuler cette articulation, qui n'a du reste pas échappé à certains historiens de l'énergie.

Le secteur des énergies renouvelables génère en fait depuis quelques années des investissements considérables et une publicité tapageuse. L'exploitation des hydrocarbures est loin d'être aussi assurée et aussi rentable que le prétend la dénonciation rituelle du lobby pétrolier. Cette dénonciation, comme la plupart des discours anticapitalistes, fantasme une puissance qui est pourtant vacillante depuis longtemps. De plus, les énergies "vertes" sont le pur produit d'un capitalisme en bout de course essayant de se présenter comme "renouvelable" alors qu'il n'est rien d'autre qu'extractiviste et néocolonial. Il faut ajouter que la question énergétique est une boîte de Pandore, qui une fois ouverte par le capitalisme, ne saurait être balayée d'un revers de main, mais doit être examinée dans son rapport intrinsèque avec l'émergence historique du travail abstrait - rapport qui ne se laisse pas découpler, contrairement à la vision d'une société post-capitaliste héritant de toutes l'efficacité moderne mais sans ses nuisances. Plus profondément, les techniques adéquates à une société émancipée ne saurait être considérées isolément du nouveau rapport social qu'il s'agit d'établir - soit un rapport débarrassé du travail au sens définit plus haut par Kurz - et n'auraient par conséquent rien à voir avec celles que nous connaissons, ni avec un simple tri esthétique ou utilitaire parmi celles-ci. Ladite "crise énergétique" est strictement contemporaine de la modernité industrielle et post-industrielle; elle force à reconsidérer le fait que toute production industrielle requiert, dans une proportion variable, soit du travail humain, soit du travail automatisé, dont le rapport de composition aboutit toujours à une équation énergétique insoutenable. Or cette articulation, que l'on peut déduire de certaines formulations de Marx, est passée inaperçue tant des mouvements marxistes que des mouvements écologistes, chacun s'étant spécialisé dans une "partie" du rapport de composition.

Ces différents points seront examinés ici afin de réfuter la proposition d'un post-capitalisme techno-optimiste. Ce faisant, nous traiterons le problème énergétique en remontant du niveau "empirique" (la crise de l'énergie dans ses rapports avec la thermodynamique) à celui de "l'abstraction réelle" (la crise du travail et l'exigence de son abolition portée par la critique de la valeur), en considérant que ces niveaux sont dans un rapport de corrélation qui n'apparaît que dans le capitalisme et doit donc être étudié dans sa totalité - autrement dit, il s'agit de déconstruire toute tentation de découplage qui conduit à célébrer les prouesses technologiques du capitalisme comme si on pouvait les transposer "innocemment" dans un monde débarrassé de la logique capitaliste. Tout primat social du principe d'efficience conduit au même résultat écologique que celui offert par le développement du capitalisme, à savoir un gouffre énergétique - que ce principe soit ou non ouvertement fondé sur une quête de valorisation indéfinie, sur une planification centralisée, ou sur une intégration cybernétique toujours plus fine des flux mondialisés. Le principe d'efficience énergétique n'est rien d'autre que l'obligation, pour l'économie, de converger avec son substrat matériel, c'est-à-dire d'en internaliser les contraintes les plus criantes qu'elle persiste pourtant à traiter comme exogènes. Une théorie de l'émancipation ne peut donc que critiquer aussi les catégories morales - autolimitation, efficacité, sobriété, conscience éclairée, etc. - qui forment à la fois le fondement subjectif du mode de production capitaliste et la petite musique du paradigme énergétique.

(Texte publié avec l'aimable accord de l'auteure)


Sandrine Aumercier a étudié la philosophie et la psychologie à Paris. Elle est psychanalyste à Berlin, membre de la Psychoanalystische Bibliothek Berlin, et participe à la Revue française Jaggernaut. Ses recherches portent notamment sur l'histoire de la psychanalyse, la psychologie collective, la technologie et la critique de la valeur-dissociation.



Lien vers les Editions Crise & Critique

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Notes


(1) Certains marxistes sont désormais contraints d'intégrer quelques bémols à ce refrain. Mais si l'on veut apprécier une formulation récente et inchangée des poncifs productivistes du marxisme ouvrier, on peut lire : Robin Goodfellow, " Marx et la révolution industrielle", dans Marché et organisations, 2015/2 n°23, L'Harmattan, p.51: "La machine est innocente des maux qu'elle entraîne, seul est en cause son usage capitaliste."

(2)  Pour quelques  aperçus récents de cette question, voir Sheryl D. Breen, "Green Views of Marx : Reinterpreting, Revising, Rejecting, Transcending", dans SAGE Open, janvier-mars 2014, en ligne : <https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/2158244013520609> ; Fabrice Flipo, " "Marxisme, lutte des classes et écologisme ", dans  Actuel Marx 2014/1 n° 55; Maxime Ouellet, "Marx et la critique de la technique : réflexions à partir des Grundrisse et du capital", Cahiers société n° 2, décembre 2020.

(3)  Voir les textes  republiés dans Manifeste contre le travail, Albi, Crise et Critique, 2020.

(4) Voir "Note sur le Manifeste contre le travail du groupe Krisis, dans René Riésel, Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Paris, Éditions de l'Encyclopédie des nuisances, 2008, p. 125-130.

(5)  Ibid., p. 130.

(6)  Voir entre autres les deux brochures : D. Caboret, P. Dumontier, P. Garrone, R. Labarrière, Contre l'E.d.N., Paris, 2001, en ligne: <http://laguerredelaliberte.free.fr/doc /cedn.pdf>; Bertrand Louart, Fabien Palisse, "À propos de quelques grognements et aboiements...", juillet 2001, en ligne : <https://ia800607.us.archive.org/23/items/quelques-grognements-et-aboiements.pdf>

(7)  Anselm Jappe, "Révolution contre le travail ? La critique de la valeur et le dépassement du capitalisme", Cités, PUF, n°59, 2014/3.

(8)  C'est un domaine où Thomas Konicz publie régulièrement par ailleurs des analyses critiques dans des revues comme Konbret, Telepolis, Neues Deutschland.

(9) Thomas Konicz,  Klimakiller Kapital, Mandelbaum, 2020, p.75, 80, 312, 323.

(10)    Robert Kurz, Lire Marx, Les Balustres, 2002 [2000], p. 124

(11) Robert Kurz, "Mit Moneten und Kanonen", jungle.world, 09/01/2002. En ligne en français : <https://www.exit-online.org/uploads/Robert%20Kurz%20-%20Le%20Boom%20de%20la%20modernite.pdf>.

(12)   Thomas Konicz, Klimakiller Kapital, op, cit., p. 323.

(13)   Ibid, p. 324

(14)   Ibid, p. 325

(15)  Robert Kurz, "Unnützer Gebrauchswert" Neues Deutschland, 28/05/2004. En ligne en français: <http://www. palim-psao.fr/2020/04/adieu-a-la-valeur-d-usage-par-robert-kurz.html>.

(16) Thomas Konicz, Klimakiller, op. cit., p 109

(17)   Voir par exemple la création en France du Parti localiste en janvier 2021.

(18)   Voir Jonathan Piron, "Vers l'extrême- droitisation du discours écologique ? Voyage au sein de l'écologie identitaire", etopia, 26/04/2019 , en ligne : <https://etopia.be/vers-lextreme-droitisation-du-discours-ecologique-voyage-au-sein-de-lecologie-identitaire/> ; Maresi Starzmann, "Green fascism : A Far-Right Ecology Movement is on the rise in Germany, Ans it's Spreading Here" , The Indypendant, 07/09/2019 <https://indypendant.org/2019/09/green-fascism-a-far-right-ecology-movement-is-on-the-rise-in-germany-and-its-spreading-here/>; Krisztian Simon, "Nature Through the Lenses of a Fossil-Soaked Far Right", Green European Journal, 11/09/2020, en ligne <https://www.greeneuropeanjournal.eu/nature-through-the-lenses--of-a-fossil-soaked-far-right/> ; Lise Benoist, "Green is the new brown : poussée "écologique" à l'extrême droite", Terrestres, 02/11/2020, en ligne : <https://www.terrestres.org/2020/11/02/green-is-the-new-brown-la-poussee-ecologique-de-lextreme-droite/>.

(19)  Thomas Konicz, Klimakiller Kapital, op, cit., p. 99. C'est congruent avec une autre affirmation de Thomas Konicz selon laquelle il faut soutenir un candidat à la Maison Blanche comme Bernie Sanders (c'était avant la victoire de Joe Biden à l'élection présidentielle de 2020) pour des raisons de stratégie historique. Voir climat Klimakiller Kapital, op. cit., p. 359

(20)   Ibid., p. 101


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