Conférence de dany-Robert Dufour au lieu unique sur son dernier ouvrage : "Baise ton prochain", une histoire souterraine du capitalisme.



  

[...] TITANIC (Extrait de "Baise ton prochain", une histoire souterraine du capitalisme)

Le film Take Shelter de Jeff Nichols (2011) montrait un ouvrier en bâtiment américain du Midwest atteint de troubles psychiques sévères qui l'amenaient a gaspiller toutes les économies de la famille pour creuser et aménager sans raisons objectives apparentes un abri profond dans son jardin. Jusqu'à ce que, à la toute fin du film, le ciel se déforme assez pour qu'on comprenne l'imminence de l'apocalypse et la raison de ses actes. Les tentations survivalistes atteignent aujourd'hui tous les milieux. Avec l' hyper-classe, elles donnent lieu à des projets colossaux à la (dé)mesure de ses énormes moyens financiers : on connaissait les bunkers anti-nucléaires, nous voici à l'époque des îles artificielles flottantes (pour survivre à la montée du niveau des océans) et surtout à celle des voyages spatiaux. Mais pourquoi les milliardaires veulent-ils soudainement s'envoyer en l'air?

Elle procède d'un étonnement récurrent. Pourquoi les milliardaires aiment-ils soudainement les voyages spatiaux? pourquoi Jeff Bezos, le patron d'Amazon, première fortune mondiale, veut-il avec son projet Blue Moon, conquérir la lune? Pourquoi Elon Musk, milliardaire, veut-il avec son projet Starship, établir des colonies martiennes? Pourquoi Richard Branson, milliardaire, veut-il avec son projet Virgin Galactic, proposer des voyages touristiques dans l'espace? Bref, comment comprendre cette mode sidérante du voyage intersidéral qui saisit les milliardaires?

Aller voir ailleurs s'ils y sont et constater ainsi leur puissance? Probable. Pouvoir exploiter prochainement les ressources de la Lune et de mars? Probable. Mais on ne peut écarter une autre raison, plus ou moins consciente. Ils veulent aussi pouvoir s'exfiltrer de la terre "au cas où". Ils savent parfaitement que leur hyper-classe a souillé notre planète à un point tel qu'il leur vaut mieux prévoir la possibilité d'un départ rapide ne dépendant que de leurs propres moyens. Appelons cela "l'effet Titanic" : quand ça coule, seule hyper-classe doit avoir accès aux canots de sauvetage.

On serait tenté de leur dire : barrez-vous donc, et vite ! Allez si cela vous chante cochonner une autre planète mais laissez-nous vivre sur terre. 
Cependant au cas où vos belle fusées feraient pschitt, nous sommes prêts à vous offrir un long, voire un très long stages de recyclage chez nos amis, les Indiens Jivaros, pour vous apprendre à parler aux éléments, aux arbres, à la pluie, aux bêtes et aux ancêtres.

"Baise ton prochain", Dany-Robert Dufour éditions Actes Sud,   2019 , pages 162 et 163


Commentaires

Articles les plus consultés