"Prendre feu" de zeno bianu et André Velter



Cinq heures du soir. C'est le temps décisif, un peu lourd et fragile, d'un autre zénith, d'un autre aplomb de la lumière, quand le soleil qui passe au rouge ne lâche pas encore les chiens ni les loups. Instant fatal qui, par la grâce d'un seul poème de Federico Garcia Lorca, n'a pas sombré dans l'oubli, tout en léguant cette trace de sable et de sang où se lève la plus vive de nos vies. Chemin de Crêtes étrangement au ras du sol, comme une ligne de partage des infinis qui ne s'ėgarent pas, ne cèdent pas un pouce de terrain.

Même si l'ombre ne cesse d'étirer ses marques, il n'est aucun repli possible. Et il importe, fût-ce pour un honneur qui n'a plus cours, un plaisir souverain ou l'ultime beauté du geste, de faire front, de croiser la blessure annoncée, ajournée peut-être, mortelle en quelques saison. Ici et maintenant aucun projet, aucune promesse, aucune sortie de secours: du lapidaire, des bottes de sept lieues, de la conscience sabre clair.



Qui va là? sinon le meilleur de nous-même? Le soir s'allonge, les cloches bourdonnent au ralenti, les crotales ont des reflets cuivrés. Qui s'avance ainsi, sinon celui qui veut prendre feu? Prendre feu sans un seul cri, sans même un murmure.

Il est temps, grand temps, le sable remonte dans les sablier grain après grain. Là-bas, dehors, il fait un tel bruit que l'on n'entend plus rêver les âmes des morts. Trop de casques, trop d'écrans, trop de carapaces. Où sont les grands déboussoleurs, les transperceurs d'ennui? L'azur est peuplé d'une volée de flèches enflammées.



Voici le moment de sortir des rituels vides et de l'autosatisfaction vertueuse. Enfer ou paradis cela se joue dans un espace de naissance infinie. Voici le moment de transformer nos démons en gardiens. Dans une justesse amoureuse de l'instant, sans relâche, nous pouvons tout remettre en jeu : nos mots, nos gestes, nos vies.

"Prendre feu" de Zeno Bianu et André Velter, Gallimard, 2013, p 11, 12 et 13


Petit bonus
: "habiter poétiquement le monde" avec Zeno Bianu dans l'émission Les Racines du ciel.

           

Commentaires

Articles les plus consultés